Voici une histoire vraie, une histoire qui se finit bien pour 18 animaux que nous avons libérés d’un laboratoire. Il s’agit de lémuriens, des petits primates originaires de Madagascar. Pour des raisons diverses, et d’abord parce que nous avons l’intention de recommencer ce type d’opération, nous ne pouvons tout vous dire sur leur provenance – sachez seulement qu’il s’agissait d’un institut embryologie français.
Ils s’y trouvaient, pour certains depuis de nombreuses années, dans des conditions légales mais pitoyables. D’abord, il y avait la vie en cage. Nous vous laissons imaginer l’ennui de ces animaux vifs et intelligents, rompu seulement par quelques visites et expériences. Certains étaient seuls dans une petite cage (les lémuriens ont besoin de contacts et d’une vie de groupe) et, clairement, ils montraient des signes de grandes perturbations psychologiques. Ils sautaient sans arrêt en tournant contre les parois de la cage. Pour d’autres, les cages étaient plus grandes, mais pas de nids ni d’abris.
Ils ne servaient qu’à des travaux dits de caryotype – d’après nous pas utilisables pour l’être humain, un très lointain cousin – exigeant des prélèvements de peau, de sperme et de sang.
Rien d’atroce, mais des manipulations tout de même, avec la peur qu’elles impliquent.
Dans le laboratoire, l’été, sous les toits, il faisait souvent plus de 40°. Mais l’hiver, en l’absence de chauffage (en panne depuis longtemps), la température tombait parfois à 7° pour ces animaux habitués à une chaleur tropicale. La salubrité de l’animalerie était plus que douteuse du fait d’une importante humidité permanente, et le sol ainsi que des murs de cages étaient recouverts d’une épaisse couche d’algues glissantes. Le centre manquant de crédits, ces petits lémuriens avaient faim : la nourriture n’était pas suffisante – nous avons vu de nos yeux et photographié une bassine de pommes talées, c’est tout… Pas non plus de produits d’entretien d’aucune sorte. Le nettoyage consistait en un coup de jet d’eau… Dans ces conditions, les nouveau-nés ne survivaient pas au sevrage. Les mères préféraient les laisser mourir plutôt que de leur “offrir” une telle vie.
Tractations
C’est pourquoi une personne bien intentionnée et indignée de la grande misère de ces animaux nous a alertés durant l’été 1997. Nous avons aussitôt entrepris des enquêtes approfondies (notamment en pénétrant clandestinement dans les lieux pour avoir les photos et les films qui nous auraient permis de faire éventuellement pression sur les chercheurs au cas où nous n’aurions pas pu les convaincre), tout en réalisant un reportage détaillé sur leurs mauvaises conditions de vie. Vous comprendrez que nous ne pouvons vous donner tous les détails au grand jour. Nous étions prêts à utiliser ce reportage dans la presse, mais nous avons trouvé préférable de prendre contact avec les responsables du laboratoire car nous pensions obtenir gain de cause pour leur libération.
Et ce fut le cas, après de longs mois de travail. Des mois d’attente, d’angoisse, d’un labeur de fourmi. Mais malgré les difficultés, nous n’avons jamais baissé les bras. C’est au moment des tractations que nous avons appris qu’une dizaine de lémuriens venaient d’être envoyés dans un autre laboratoire, sans que nous puissions les sauver. Le cœur serré, nous avons entendu “qu’ils n’avaient pas souffert” : une euthanasie suivie d’études du vieillissement cérébral. Ces explications ne nous ont pas rassurés. Pour eux, nous sommes arrivés trop tard – état de fait extrêmement difficile à accepter. Nous le savons, le manque de moyens ne nous permet pas d’être partout, mais confrontés à cette évidence, cela fait encore plus mal.
Nous avons tout de même pu sortir légalement les autres : 18 nous ont été confiés le 18 octobre, transférés le jour même au Refuge de l’Arche à Château-Gontier en Mayenne, où nous avions déjà mis les 36 macaques libérés en juin 1996 d’un laboratoire parisien, histoire que nous avons racontée dans Animaction N°3 toujours disponible sur commande (ce qui met à notre actif les deux seules libérations légales d’animaux de laboratoire en France !).
Là, nous avons eu le plaisir de voir nos petits protégés revenir progressivement à une vie meilleure, avec de l’espace, des températures convenables et une nourriture abondante et variée qui leur a fait manifestement grand plaisir : ils sont même venus prendre du raisin ou des madeleines dans nos mains, joie intense !