Posez la question à la première personne venue : pensez-vous que des événements graves et des traumatismes survenant à une mère pendant sa grossesse risquent de causer par la suite des perturbations d’ordre psychologique et comportemental à l’enfant qui va naître ? Toute personne interrogée, quel que soit son niveau d’études, répondra par l’affirmative. Or, cela ne semble pas aller de soi pour les actuels chercheurs en neurosciences qui ont besoin de le prouver scientifiquement, autant dire de le tester sur les animaux.
Stress répétés
C’est ce qui ressort d’un colloque de neurosciences qui s’est tenu à Toulouse fin mai et dont j’ai pu lire des comptes-rendus dans les journaux. On apprend ainsi que divers chercheurs, dont un bon nombre de femmes, soumettent des rattes enceintes à des stress répétés afin d’évaluer les dégâts commis sur les petits à naître, la moindre de ces tortures consistant à exposer les rattes à un chat menaçant…
Oui, je sais, en langage scientifique on remplace » sévices » et » tortures » par » stratégies » et » protocoles » d’expérimentation. Ça m’a échappé, car je ne suis pas encore totalement anesthésiée et ma sensibilité demeure vive, ma lucidité aussi.Je m’étonne, donc, autant de la cruauté de ces actes que de l’effarante bêtise qu’ils supposent.
Séparation forcée
Un chercheur va par exemple séparer un rat juste né de sa mère afin de savoir comment le petit réagira . Mais à merveille, bien sûr! Et la mère, à n’en pas douter, se réjouira aussi de cet arrachement !
Ces chercheurs sont-ils à ce point coupés de leurs émotions et de toute intuition, qu’ils aient besoin de mener ces grotesques et sinistres expériences ? Ne peuvent-ils pas imaginer, sans infliger de souffrances à autrui, que la grossesse est une période capitale dans l’évolution d’un être et que le petit est durant sa vie intra-utérine particulièrement réceptif ? N’ont-ils eux-mêmes jamais été enfants ? N’ont-ils jamais noué de liens affectifs ? N’ont-ils jamais souffert d’une séparation, d’un deuil ?
Êtres vivants
On le voit, ces misérables expériences servent davantage à évaluer l’intelligence et la sensibilité des dits scientifiques que celles de leurs victimes animales. Toutefois, la question demeure: comment accepter une recherche qui, sous prétexte qu’elle vise à une meilleure connaissance du vivant ou de l’humain, se fait au détriment de nombreux êtres vivants, qu’il s’agisse de cobayes humains ou animaux ? Le principe de l’éthique consiste à refuser en tous domaines que la fin justifie les moyens. Et la plus haute morale réside dans l’impossibilité quasi-physique de léser la vie, sous toutes les formes qu’elle prenne.
Il paraît relativement plus aisé de statuer sur des embryons humains congelés que d’évoquer le bien-fondé, la légitimité morale d’expérimenter sur les animaux. On fait toujours comme si certains, parce qu’ils sont nés hommes, méritaient davantage la vie que ceux qui sont nés oiseaux, poissons ou rats; comme s’il était naturel, normal, que ces moindres vivants soient sacrifiés pour eux, les plus vivants.
"Matériel de laboratoire"
La question aiguë de l’expérimentation animale est toujours évacuée parce qu’elle fait vaciller la prétention humaine. Et puis, si le chercheur commence à se dire que » son matériel de laboratoire » (en termes clairs, les animaux), ressent, souffre, appelle au secours, il ne pourra plus travailler en toute sérénité, c’est-à-dire en toute impunité.
Mais déjà, sur le terrain de la logique, il faudrait que ces gens des neurosciences s’expliquent :
ou bien l’homme est tout à fait différent de l’animal, du rat en l’occurrence – il pense, il parle, il a une conscience, etc. – et on ne voit pas à quoi bon expérimenter sur l’animal puisqu’on ne saurait comparer les émotions et le comportement d’une petite ratte à ceux d’une femme enceinte.
Ou bien les mammifères humains et animaux sont très proches, ce qui s’applique à l’un vaut pour l’autre ; et dès lors, l’expérimentation mortifère sur un animal n’est pas plus légitime que celle faite sur un humain, et l’acte doit être jugé également barbare et criminel.
Jacqueline Kelen