Eté 1996, One Voice a libéré trente-six macaques enfermés dans un laboratoire et destinés à la vivisection. C’était la première fois en France qu’avait lieu une telle opération, en toute légalité. Bella, Brunie, Farah et leurs amis en ont été les bénéficiaires.
Ces singes, des macaques crabiers, étaient nés en France, dans une animalerie élevage qui existe depuis 1961 en région parisienne. Leurs conditions de détentions, au regard d’autres endroits, paraissaient relativement bonnes : une température constante de 26° et une hygiène convenable, mais des cages très étroites. Ils servaient à des programmes d’étude de la reproduction. Cependant, ces animaux manifestaient des signes inquiétants d’une grande souffrance mentale et physique.
Exiguité et stéréotypies
Il vivaient dans des cages inadaptées à leurs besoin. Par exemple, ils n’avaient pas de sol plane sous leurs pattes, mais du grillage inconfortable. Ils n’avaient pas la possibilité de se confectionner un nid de feuillage pour dormir. Ils n’avaient pas de contact entre eux, alors que dans la nature ils forment des groupes sociaux.
L’animalier qui en avait la charge les frappait à coup de barre de fer. Sans grande conscience de sa propre cruauté, il affirmait au contraire bien aimer « ses » singes. Mais que voulez-vous «quand il faut manipuler 40 femelles dans la journée pour la pesée et les frottis, il ne faut pas que ça traîne. » Drôle de vie pour ces animaux, qui étaient là pour certains depuis 23 ans.
Ces privations, ces contraintes les avaient grandement perturbés. Ils souffraient de troubles psychologiques qui se caractérisaient par des mouvements stéréotypiques, des balancements saccadés, des allées et venues perpétuelles qui se voient aussi dans les cages des zoos et des cirques. Ces symptômes de stress intense se manifestaient aussi sur leur pelage. Il était mité par endroit, signe d’arrachage machinal des poils, un geste devenu leur seule distraction. Par ailleurs, lorsqu’il arrivait que deux singes soient logés dans la même cage, l’un des deux finissait par faire de l’autre son souffre-douleur.
Après négociations
L’animalerie devant fermer (le scientifique nouvellement responsable ayant toujours refusé de pratiquer la vivisection), les animaux étaient promis à un autre établissement «spécialisé» lui aussi en singes, appartenant à l’INRA (Institut national de recherche agronomique), servant de dépôt pour d’autres établissements dont le CEA (Commissariat à l’Energie Atomique). Certains y furent d’ailleurs envoyés avant que nous n’intervenions pour proposer une autre solution.
One Voice a d’abord obtenu la libération de douze singes, le 27 juin. Puis sont venus de nouvelles longues négociations. La ténacité a été payante puisque les vingt-quatre derniers singes restant ont obtenu leur grâce, le 10 juillet. Selon les termes mêmes du responsable et seul décideur du sort des macaques, «vous avez fini par m’avoir à l’usure ! Dépêchez-vous de les sortir avant que je ne change d’avis.»
Retour à la vraie vie
Les trente-six macaques ont été placés dans le Refuge de l’Arche (route de Ménil, 53200 Château-Gontier), fondé et dirigé par Christian Huchedé. Ils sont maintenant dans de grands espaces, où ils peuvent vivre de façon plus conforme à leur nature animale. En effet, il était impossible de les remettre dans la nature : ils n’auraient pu y survivre. Si vous avez l’occasion d’aller dans ce refuge, venez observer nos protégés. Leur comportement depuis qu’ils sont libres prouve très clairement que leur naissance en captivité n’a en rien effacé leur instinct et leurs besoins: ils s’épouillent, ont leur territoire, leur groupe, grimpent aux arbres, s’allongent au soleil, suivent avec des yeux très intéressés les oiseaux ou les insectes.
Lors de leur arrivée au refuge, ils ont entendu des chants d’oiseaux, grimpé à un arbre et marché sur la terre pour la première fois de leur existence. Maladroitement au début, car leurs muscles n’étaient pas développés après tant d’années en cage. Tout d’abord lâchés dans leur maison chauffée, ils essayaient de s’agripper aux parois lisses et peu familières des murs, cherchant en vain le grillage. Ils n’avaient pas la force de monter sur le rebord de la fenêtre pourtant très basse, qui donnait accès au dehors. Mais leurs aptitudes se sont améliorées à une vitesse remarquable. Ce qui en a surpris beaucoup. Ils croyaient que les singes seraient marqués à jamais.
L'élevage en question
Cette affaire qui a bien tourné pose le problème des animaux nés en laboratoire ou chez un éleveur agréé. Selon les partisans de la vivisection, ces animaux qui n’ont pas été prélevés dans leur milieu naturel ne souffrent pas de la détention, puisqu’ils ne connaissent pas autre chose. Le fait de procéder à des expérimentations sur des animaux d’élevage est d’ailleurs mis en avant par les chercheurs, car ils sentent bien que l’opinion ne les soutient pas lorsqu’il s’agit d’animaux capturés ou, pis, volés. La libération de ces macaques prouve qu’un singe où qu’il soit né demeure un singe avec ses propres aspirations. De surcroît, aucun animal, quelles que soient les conditions de sa naissance, n’est préparé à endurer les souffrances de la vivisection.