« Les indicibles cruautés de l’homme à l’égard des animaux s’étaient limitées jusqu’ici à la surface de notre planète.
Allons-nous les voir désormais envahir l’espace et peut-être se multiplier à travers ce dernier ?
On peut le craindre en prenant connaissance du projet Bion, exposant des singes à bien des souffrances et qui, de plus, d’après le docteur Robert Hoffman, serait d’un intérêt scientifique plus que douteux ».
Théodore MONOD
Voilà ce qu’écrivait notre parrain, le très regretté professeur Théodore Monod, en 1996, alors que One Voice s’opposait au projet Bion, mené par la NASA avec la Russie et la France. Ce programme visait à étudier les conséquences de l’apesanteur, sur l’homme, en envoyant dans l’espace des macaques, bardés d’électrodes. Finalement, la NASA a renoncé à poursuivre ces expériences, en 1997. Mais que de souffrances inutiles entre temps.
Des employés révoltés
C’est grâce à des employés de la NASA que toute l’horreur de Bion a pu être connue. Proprement horrifiés de ce qu’ils avaient vu, ils avaient alerté l’association américaine de défense des animaux, PETA. Voici ce qui arrivait aux malheureux singes : « Des fils électriques passent sous leur peau et ressortent de leur corps par un trou dans le dos. Des fils sont aussi cousus sur leurs globes oculaires et on leur coupe la queue pour que leur corps s’adapte à la forme du siège métallique auquel leurs bras et leurs jambes sont attachés tout le temps de l’expérience (environ deux semaines). Huit vis sont posées dans leur tête. Un circuit central est incrusté et cimenté au sommet du crâne pour enregistrer les données fournies par les implants ».
Etude sur l'apesanteur
Tout cela afin d’étudier les effets de l’apesanteur et des voyages spatiaux sur les cosmonautes, notamment la perte de masse osseuse et musculaire, le mal de l’espace ainsi que les problèmes d’équilibre au retour sur terre. D’habitude, la vivisection vient en amont d’applications pour les humains. Or, pour mémoire, l’homme va dans l’espace depuis 1961…
Les faits sont si révoltants que le Bureau de l’Inspection Générale de la NASA dépêche des enquêteurs. Leur rapport a également prouvé que les singes ont de telles plaies dues aux fils électriques implantés dans leur corps que certains d’entre-eux ont dû être euthanasiés. Mais ils n’ont connu cette délivrance qu’après avoir enduré ces souffrances pendant trois ans! Au total une douzaine de singes ont trouvé la mort, avant même d’être envoyés dans l’espace.
Singes laissés sans soins
Les singes ne recevaient aucun médicament pour soulager leurs atroces douleurs après les opérations chirurgicales. Un expérimentateur tua un singe en lui perçant le crâne trop profondément avec les vis. D’autres singes étaient morts de déshydratation par absence de soins. Deux ont péri de soif: une longe agonie parce que les animaliers n’avaient pas vu que leurs pipettes étaient bouchées. Le rapport d’enquête recommandait une suspension du projet pour lequel le directeur, David Tomko, «fit preuve de peu de sens des responsabilités».
Projet controversé
De surcroît la communauté scientifique n’était pas unanime sur l’opportunité de ces expériences. Le 10 mai 1996, le docteur Robert Hoffman, neuropsychiatre diplômé de l’université de Stanford estimait : «Mon opinion est que le projet Bion ne contribuera pas à améliorer la santé des astronautes. Tout cet argent pourrait être dépensé bien plus utilement».
Quant à l’étude de l’atrophie des muscles due à l’apesanteur, «les informations générées par Bion seraient plus qu’inutiles, elles seraient trompeuses». En effet, les singes envoyés dans l’espace pendant deux semaines étaient complètement immobilisés (pour des raisons pratiques: s’ils n’étaient pas attachés, ils auraient arraché les fils électriques qui les faisaient tant souffrir). Comment les comparer aux astronautes qui eux bougent et font de l’exercice pendant leurs missions?
"Situations traumatisantes"
Le projet entendait également étudier le mal de l’espace, or c’est aussi un problème de fonctionnement du cerveau qui ne peut s’étudier en implantant des électrodes dans les muscles et qui, de plus est faussé par l’immobilisation des singes. Par ailleurs, les problèmes d’équilibre au retour sur terre s’estompent au bout de quelques jours, «pourquoi dépenser tant d’argent pour une chose aussi triviale? » , s’interrogeait le Docteur Hoffmann.
Pour lui : «Ce sont des créatures d’une grande intelligence qui vont être appareillées de manière très lourde, immobilisées pendant des semaines et placées dans des situations traumatisantes où les choses se passent souvent mal, comme ce fut le cas dans les précédents projets Bion. Il faut aussi considérer le manque de réglementations protégeant les animaux en Russie…»
Départ, la veille de Noël
Mais les amis des animaux n’étaient pas les seuls à protester. Les associations américaines de défense des contribuables s’insurgeaient contre le coût de 33 millions de dollars du projet, réglé par les impôts. Des personnalités comme le professeur Monod ou l’acteur Alec Baldwin montaient au créneau pour dénoncer le scandale. Il s’en est fallu d’un cheveu que le Sénat américain renonce à financer Bion. La décision n’a été emportée que par 51 voix contre 42.
Résultat, le 24 décembre, la veille de Noël, deux macaques, cruellement harnachés comme on l’a vu, ont été envoyés dans l’espace à leur corps défendant. Ils devaient revenir le 7 janvier.
Manifestations en France
En France, en dépit des manifestations organisées par One Voice, le Centre national d’études spatiales (CNES) se félicitait bruyamment de cette expérience. Il est vrai que dans notre pays, à la différence des Etats-Unis, il n’y a pas eu d’investigations officielles. Quant au coût effectivement supporté par les contribuables, il a été pudiquement caché. Petit détail révélateur : les noms des deux singes, Multik et Lapik, ont été trouvés par… des écoliers bretons ! Un gentil concours avait été lancé pour l’occasion. S’il te plaît, décime moi un macaque.
A leur retour, les singes devaient subir plusieurs mois d’examens complémentaires. Multik, l’un des deux primates y a échappé. Il est mort, 24 heures après son arrivée. En dépit de cela, un nouveau projet Bion était prévu pour l’été 1997. Mais finalement, la NASA y a renoncé. Le 22 avril 1997, elle indiquait que sa décision s’appuyait sur les recommandations d’une enquête indépendante menée à sa demande suite à la mort de Multik. Une nouvelle expérience n’aurait pu être effectuée, sans faire courir un « risque inacceptable pour les primates ».
Cherchez l'erreur !
Carl Sagan, astrophysicien et auteur avec Ann Druyan du livre américain «les Ombres de nos ancêtres oubliés», raconte une curieuse expérience où des singes furent obligés de choisir entre la privation de nourriture et l’administration d’électrochocs à leurs congénères. Presque tous les singes se privèrent de manger pendant 2 semaines plutôt que de faire souffrir les autres. Carl Sagan commente ainsi ce résultat : «Ces macaques qui n’ont jamais entendu parler des dix commandements, jamais assisté à un cours d’éducation civique, ont un grand courage dans leurs positions morales et leur résistance à ce qui est mal. Si les rôles étaient inversés et que des macaques scientifiques offrent un choix identique à des êtres humains captifs, ferions-nous la même chose ?»
La réponse est malheureusement non. Une expérience menée dans une université américaine avait montré qu’une très large majorité d’humains était capable d’aller jusqu’à administrer une dose mortelle d’électricité à une personne, simplement parce qu’elle ne donnait pas la bonne réponse à une question donnée. Bien sûr, les hurlements de douleur étaient simulés par des comédiens. Mais cela, les « assassins en blouse blanche » , pleins de la bonne conscience de participer à une expérience scientifiques l’ignoraient…