Article du 20 Avril 2003, The Observer
S’ils avaient réussi, les chercheurs de Cambridgeshire auraient pu sauver des milliers de vie. Mais ils ont échoué, les animaux ont souffert et la vérité a été étouffée, Marc Townsend nous explique.
Au milieu de la campagne vallonnée du Cambridgeshire, se trouve un vaste bâtiment, protégé par du fil barbelé et une armée de gardiens. Derrière les barbelés des chercheurs travaillent dans un dédale de laboratoires, à la recherche de remèdes contre la souffrance du genre humain.
Ceci est le plus grand centre de recherche sur les animaux de toute l’Europe, le mystérieux laboratoire autorisé par le gouvernement : Huntingdon Life Science (HLS. Les détails exacts des expériences pratiquées sur animaux ont été farouchement tenus secrets. Jusqu’à présent.
Aujourd’hui, l’Observer peut révéler la face jusqu’ici cachée de la vivisection. Un nombre important de documents confidentiels, le plus important qui ait jamais existé concernant l’expérimentation animale au Royaume Uni, a finalement été rendu public, après qu’une injonction imposée par l’industrie pharmaceutique il y a 30 mois ait été annulée. Ces documents dévoilent la course à la fourniture illimitée d’organes pour satisfaire une demande visant à sauver la vie de milliers de britanniques.
La quête d’un programme de xénotransplantation fructueux, lors duquel les organes d’animaux génétiquement modifiés sont transplantés à l’homme, demeure l’équivalent de la quête du St Graal.
La récompense, en cas de victoire, sera énorme : les analystes prévoient un marché d’au moins 6 millions de livres sterling par an pour la première compagnie qui trouvera une solution au rejet de ces organes par le corps humain.
Nul besoin de se demander pourquoi les chercheurs, les géants de l’industrie pharmaceutique et les Ministres du gouvernement se sont employés à injecter des millions de livres dans les projets de HLS. Alors, est-ce que cela en valait bien la peine?
A la grande consternation des amis des animaux, les documents révèlent comment des primates furent utilisés dans le cadre de la recherche d’une solution au manque chronique et global d’organes humains pour la transplantation.
Des babouins furent transportés depuis les savanes d’Afrique et moururent dans de cages en acier de la taille d’un cabinet de toilette. Les documents démontrent qu’un quart des primates sont morts suite à des « erreurs techniques ».
Les chercheurs décrivent comment les singes et babouins sont morts durant des crises de vomissement et de diarrhée. Les symptômes incluaient des spasmes violents, des écoulements de sang, des grincements de dents et d’incontrôlables spasmes oculaires. D’autres animaux se sont renfermés sur eux-mêmes, restant immobiles dans leur cage jusqu’à ce qu’on mette fin à leur condition misérable.
Le Babouin W201m est mort d’une attaque après avoir souffert de spasmes et paralysie des membres durant deux jours. Le Babouin W205m a été « sacrifié » après 21 jours. On avait greffé sur les artères de son cou un cœur de porc modifié génétiquement. Les chercheurs avaient noté que le cœur avait enflé de façon anormale. On remarqua un étrange liquide jaune qui suintait de l’organe.
D’autres ne survécurent même pas jusqu’à HLS, ils succombèrent dans la douleur lors du transport. Des faxes de revendeurs d’animaux sauvages révèlent comment au moins 50 babouins furent capturés dans les plaines africaines pour ces expériences. Lors d’une expédition, les créatures ont passé 34 heures dans des caisses de transport exiguës, 10 heures de plus que ce qu’autorise le ministère de l’intérieur, qui a préféré ne pas donner suite.
Lors d’une autre expédition, 3 singes furent retrouvés morts dans un aéroport parisien, du sang suintant de leurs narines. Les animaux n’avaient pas pu se retourner et se coucher normalement.
L’implication du gouvernement dans le programme de xénotransplantation, le plus important programme d’expérimentation animale conduit en Grande Bretagne, est mis à jour dans ces documents. Idem pour son incapacité à régler un projet qui, selon le ministère de l’intérieur, était d’un intérêt majeur pour la société.
Beaucoup des 1274 pages de ce dossier mettent en lumière un nombre d’échecs qui serviront à déclencher d’autres controverses au sujet d’HLS. La semaine dernière, la compagnie a réussi à faire passer une injonction révolutionnaire qui interdit aux manifestants de s’approcher du lieu d’habitation de ses employés. Des questions fondamentales sur l’intérêt même de la vivisection vont également être posées.
Les documents ont révélé qu’on avait tenté de cacher la véritable ampleur de la souffrance des animaux qui avaient subi des expériences dans les laboratoires de HLS entre 1994 et 2000. Il ne fut pas non plus mené d’enquête sur des incidents graves impliquant la souffrance d’animaux non autorisés et les règlements ne furent pas appliquées correctement.
Dans certains cas, des infractions ne furent pas sanctionnées, le ministère de l’intérieur se limita simplement à des lettres « d’avertissement ». Un de ces documents, jusqu’à présent confidentiel, révèle comment le ministère de l’intérieur a collaboré avec Imutran, une ancienne filiale anglaise du géant pharmaceutique Novartis qui contrôlait ce programme, afin de sous-estimer la souffrance causée par les expériences les plus sévères.
Un rapport d’Imutran déclare « le ministère de l’intérieur va essayer de faire classer les greffes de rein dans la catégorie « modérée » afin de s’assurer qu’il sera plus facile pour Imutran de recevoir une autorisation et d’ignorer la « nature » sévère de ces programmes »
La vérité sur ce qui s’est passé à HLS peut être maintenant révélée grâce à cette victoire légale historique. Le verdict est un triomphe extraordinaire pour un groupe d’activistes de la cause animale basé à Sheffield : Uncaged campaigns*. Ce groupe a réussi à faire abandonner l’injonction, imposée par Imutran et Novartis, visant à empêcher la diffusion de ces documents tout en argumentant que cette question était d’intérêt public et concernait un domaine politique sensible.
Dan Lyons a passé 2 ans et demi à se battre contre quelques uns des avocats les plus célèbres d’Angleterre, l’un d’eux étant celui-là même chargé du dossier du couple Hollywoodien Catherine Zeta Jones et Michael Douglas contre le magazine Hello !.
Lyons déclare « C’est un scandale tragique de proportion historique ». En fin de compte l’épouvantable incapacité du gouvernement face à son plus fondamental devoir, celui de faire appliquer la loi, est démasquée. En essayant de camoufler ses échecs, le gouvernement a misé sur le fait que son comportement honteux ne serait pas dévoilé. Il a perdu ».
Pour les chercheurs impliqués, l’échec du projet qui visait à vaincre le rejet naturel d’organes étrangers comme le cœur ou les reins, est une véritable tragédie. L’an dernier 6482 personnes en Angleterre étaient en attente de greffe. 414 de ces personnes sont mortes avant que des organes soient disponibles.
Hier, Novartis défendait sa participation au groupe HLS en déclarant que le développement de nouveaux remèdes pour les humains impliquait invariablement des expériences sur animaux vivants.
Les documents se réfèrent à la transplantation de cœurs et de reins de porcs « génétiquement modifiés » sur des singes. Dans les années 90, Imutran déclarait être à deux doigts de la solution au problème crucial de rejet des organes qui empêchait les essais sur l’homme. En 1995 la compagnie a déclaré publiquement qu’elle serait prête à greffer des cœurs de porc sur des humains dans l’année. En fait les documents prouvent que le programme de xénotransplantation est très loin d’avoir tenu ses promesses.
Finalement Imutran a quitté le site de HLS en 2000 et a ensuite réussi à faire passer une injonction afin que les détails du projet raté de xénotransplantation ne soient pas mis à jour.
Une enquête interne a montré qu’Imutran et le ministère de l’intérieur avaient admis que la dimension et la ventilation des cages de transport n’étaient pas réglementaires. D’autre part des responsables du gouvernement ont rassuré Imutran à plusieurs occasions qu’une réunion cruciale sur les nouvelles licences d’exploitation ne serait qu’un « exercice administratif ».
D’autres découvertes étonnantes révèlent que le gouvernement avait approuvé des expériences de xénotransplantation d’Imutran qui auraient impliqué des bébés malades pour les premiers essais de greffe cardiaque.
Une partie de la recherche fut autorisée personnellement par des ministres qui ont ensuite rejeté les demandes d’enquête judiciaire indépendante.
Finalement, les documents révèlent au moins 520 erreurs et omissions dans le programme de recherche d’Imutran. Celles-ci incluent le non-enregistrement du poids des organes, une quadruple overdose, des rapports de pathologie contradictoires et une ré-utilisation des animaux. Un primate a été tué par un tampon de coton oublié dans son corps lors de son opération.
Plutôt que d’admettre sa défaite, Imutran (maintenant défunt) a fait une foule de déclarations inexactes quant au succès de ses expériences en exagérant les résultats de ses tests afin d’accroître ses chances de se voir attribuer de nouvelles licences.
Un porte-parole de Novartis a admis qu’Imutran avait rapporté « plusieurs erreurs significatives » au ministère de l’intérieur mais que la compagnie s’engageait à ne plus répéter ce genre d’erreurs. De plus la compagnie restait convaincue que sa quête finirait par résoudre le problème mondial du manque d’organes.
A la recherche du St Graal depuis 3 siècles
L’étrange histoire des greffes entre différentes espèces, connue sous le nom de xenotransplantation, commence en 1682, lorsque l’on utilisa l’os d’un chien pour réparer le crâne d’un aristocrate russe. L’expérience réussit.
Le pionnier de la greffe cardiaque Christian Barnard, fit des recherches expérimentales sur les cœurs de babouins en Afrique du sud dans les années 60.
En 1963, le chirurgien Thomas Starzl greffa des reins de babouins sur 6 patients. Ils survécurent entre 19 et 98 jours.
L’arrivée de la cyclosporine, un immonosupresseur, accrut les chances de succès des chercheurs. En 1977, une femme de 25 ans survécut 6 heures avec un cœur de babouin.
En 1984, un nouveau-né de Californie survécut 20 jours avec un cœur de babouin.
9 ans plus tard, on effectua une greffe de rein et de moelle osseuse sur un patient de Pittsburgh, il mourut au bout de 26 jours.
En 1997, Dolly fut clonée en Ecosse, ouvrant des perspectives concernant le clonage d’animaux pour le don d’organes.
Les chercheurs réalisèrent qu’il existait un risque que les virus passent la barrière des espèces. Le gouvernement annonça qu’il allait réglementer la xénotransplantation.
L’espoir des compagnies de gagner des millions dans le cadre de la xénotransplantation commença à s’amoindrir. Des firmes comme PPL Therapeutics annoncèrent des pertes.
En 2002, la recherche se tourna vers la culture de cellules embryonnaires. Ces cellules peuvent être cultivées pour fabriquer de nouveaux organes génétiquement compatibles avec l’homme au lieu d’utiliser les organes animaux.