Quand ce sont les expérimentateurs eux-mêmes qui critiquent les conditions de base de l’expérimentation animale, cela devient intéressant. Le 20 avril 1998, trois équipes de laboratoires américains ont lancé des tests dans trois États différents, à la même heure locale, sur exactement les mêmes souris génétiquement modifiées.
Identiques, mais…
Le but ? Voir justement si on obtiendrait les mêmes résultats. Ils viennent d’être publiés après dépouillement, et ils sont éloquents… dans leur disparité – voire leur nette opposition ! Pourtant on avait mis le paquet pour que tout soit identique : protocoles de tous les tests, nourriture, qualité de l’hébergement, photo-période et tout le reste. Et ce fut le bide – inexplicable. Du moins de prime abord.
Nous n’entrerons pas dans les détails des tests, par exemple sur l’anxiété, mais les résultats obtenus n’étaient clairement pas cohérents d’un labo à l’autre. Ainsi une série de souris n’ayant plus de transmetteur de sérotonine amenait des données égales à des souris normales en un endroit, supérieures dans le deuxième et inférieures dans le troisième. Voilà de quoi provoquer de l’anxiété chez certains scientifiques…
Il se pourrait qu’aucun test…
Et il y a mieux – ou pire. John Crabbe, l’un des chercheurs concernés, avait montré trois ans auparavant que ces souris manipulées étaient plus sensibles à l’alcool, plus « accros ». Les tests avaient été refaits avec les mêmes résultats quatre fois, donc confirmés et publiés : on disait déjà que cela ouvrait la voie à des traitements humains sur la dépendance aux drogues. Là, catastrophe : aucun des trois labos ne retrouve ni ne confirme les résultats antérieurs! De quoi se mettre à boire…
Voici l’un des commentaires, fait par François Clarac, directeur du laboratoire marseillais de neurobiologie et mouvement (CNRS) : « Nous commençons à sortir de cette mode du « tout expliqué par les gènes » pour entrer dans celle du « post-génome ». Les généticiens fabriquent des souris transgéniques à tout-va. Le marché économique derrière tout cela est énorme. [C’est One Voice qui souligne.] Mais ce n’est pas suffisant pour répondre aux questions que l’on se pose. Il va dorénavant s’agir de mesurer comment des gènes, ou des déficits en gènes, peuvent s’adapter au milieu. »
Tous réclament des tests encore plus rigoureux, quelques-uns parlent de recommencer dans davantage de labos (d’où un risque de voir augmenter le nombre des cobayes, mais c’est tant mieux pour le fameux marché économique de certains !). Toutefois, aucune méthodologie actuelle ne semble suffisante, et John Crabbe conclut : « Il se pourrait qu’aucun test, en aucun domaine comportemental qu’il soit, n’ait une construction suffisamment valable pour devenir un standard. Tout reste encore à inventer pour les généticiens et les physiologistes ! »
Il leur reste encore à découvrir que l’animal, génétiquement manipulé ou non, n’est pas un bon modèle scientifique. Mais ça va venir : ils sont sur la bonne voie !