One Voice : 1, vivisecteurs : 0. Depuis deux ans et demi, One Voice (Talis) se battait sans relâche contre le projet d’installation du plus grand centre d’élevage de primates d’Europe (le CNEP, 3 000 animaux), à Holtzheim en Alsace. Le samedi 9 juillet, pendant les vacances et avec discrétion – l’important est que la vivisection soit la moins évoquée possible – l’État annonçait l’abandon du projet : aucun centre ne sera construit ni à Holtzheim, ni ailleurs en France. Une victoire pour les animaux et ceux qui se sont battus pour eux depuis 1997, et le premier recul significatif de la vivisection en France.
Les décideurs politiques ont plié devant la pression. Un même article de L’Alsace du 13 juillet annonce la création de FACE Holtzheim (la Fédération d’Associations Contre l’Elevage) et ses actions pour l’automne, et cite Claude Allègre, ministre de la Recherche : « Nous n’avions nulle envie d’avoir des manifestations écologiques, peut-être violentes, dans les laboratoires .»
Un seul commentaire : si One Voice (Talis) a utilisé tous les moyens légaux pour contrer ce projet, à aucun moment nous n’avons fait preuve de violence. Il est intéressant de noter que nous sommes souvent cités comme « écologistes»; souhaitons que bientôt, les revendications des défenseurs des animaux soient également prises au sérieux en tant que telles. Cela dépend de nous tous.
Centre géant
L’affaire a commencé en 1997. Il était prévu d’ouvrir à Holtzheim, à 5 km de Strasbourg, un centre national d’élevage de primates (CNEP) pour la reproduction dans le cadre de l’expérimentation animale. Avec 3 250 singes, et en produisant 600 à 700 jeunes par an, notamment des macaques, il aurait été le troisième plus grand centre de ce type au monde. Il aurait servi à faire sur ces primates des xénogreffes (greffes d’organes d’un animal sur un autre d’une espèce différente), et de dangereuses manipulations génétiques permettant d’obtenir, entre autres, des singes transgéniques humanisés.
5 millions d'euros
Il existait déjà un primaterie à Niederhausbergen. Là, le professeur Nicolas Herrenschmidt, zoologue, avait implanté dans le Fort Foch un centre d’environ 500 primates. Ouvert en 1977, ce « lieu d’étude du comportement simien » et centre d’élevage dépendant de l’université Louis-Pasteur a été salué comme une réussite par les expérimentateurs.
A Holtzheim, ce devait être le Fort Joffre qui aurait été mis à contribution. Le budget pour cette opération était conséquent. 33 millions de francs à l’époque, soit un peu plus de 5 millions d’euros.
Discours lénifiant
Le discours des concepteurs et des autorités françaises était le suivant : « Nous avons un grand besoin de singes pour la recherche – SIDA, hépatites, paludisme, cancers, neurobiologie, épilepsies, greffes, maladies de Parkinson, d’Alzheimer et de Creutzfeldt-Jakob. Or nous recevons de nombreuses critiques quand nous nous fournissons dans la nature, faisant venir les singes de pays en voie de développement. Une résolution de l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) préconise d’ailleurs depuis 1975 la mise en place d’élevages pour les besoins en primates [Note : en 1975, la biologie moléculaire n’en était qu’à ses débuts, à présent, les techniques de pointe dites substitutives connaissent un réel essor… sauf en France]. Les associations de protection animale s’élèvent aussi contre leurs conditions de transport aérien. Alors la bonne solution consiste à les produire chez nous pour satisfaire tout le monde. »
"Habillage" séduisant
A ce discours apparemment plein de soucis de protection animale, alors que les singes devaient être employés pour la vivisection, s’était ajouté un « habillage » séduisant. Le professeur Herrenschmidt, habile communicateur, s’était toujours arrangé pour mettre en avant quelques belles « volières » dans un écrin de verdure : les singes prisonniers y avaient l’air un peu moins malheureux qu’ailleurs et ils pouvaient parfois se distraire avec des objets placés dans les cages. Mais ces « cages modèles » ne servaient que d’alibi, de vitrine, sur la totalité des autres.
A l’époque, le maire d’Holtzheim était en faveur de ce projet, tout comme le conseil régional, le conseil général et les ministères de la Recherche et des Finances. Trois voix s’élevaient contre : Antoine Waechter (Mouvement des Écologistes Indépendants), Brice Lalonde (Génération Écologie) et Jean-Laurent Vonau (conseiller général RPR).
Pharaonique
Avec One Voice, le comité scientifique Pro Anima, a lui aussi vivement contesté le bien fondé de ce centre. D’un point de vue médical, « Le singe ne contracte pas le SIDA, ni l’hépatite B dans sa forme aiguë ou chronique, s’il est infecté par les virus qui donnent ces conditions chez l’homme. On ne connaît pas de singe spontanément parkinsonien. On sait le rendre tremblant, en détruisant chimiquement des cellules de son cerveau, mais ce « modèle » ne nous apprend rien sur la cause de la maladie chez l’homme ni sur le traitement, car les cellules détruites le sont irrémédiablement. » Le coût de fonctionnement du centre paraissait aussi contestable. Au bas mot, il aurait englouti 15 millions d’euros par an.
Et dangereux
En outre, il aurait pu être préoccupant pour la santé humaine. Le professeur Béquain, de Pro Anima expliquait : « En plus d’être inutile, ce centre peut être dangereux. Un exemple, parmi d’autres tout aussi inquiétants : les greffes de tissus entre le singe et l’homme ou d’autres espèces, qui seront pratiquées sur des individus du centre, peuvent donner naissance à des variétés virales nouvelles, issues de la combinaison entre les nombreux virus « dormants » endogènes chez les deux espèces. La virulence et les cibles de ces nouveaux virus sont imprédictibles ».
D’un point de vue éthique, il était aussi insupportable d’imaginer rester sans rien faire : les vivisecteurs eux-mêmes reconnaissent que les grands singes ont la capacité mentale d’un enfant de trois ans. Il est révoltant de savoir que malgré cela, les chercheurs laissent ces animaux des semaines attachés dans des appareils de contention, le crâne bourré d’électrodes, le corps meurtri par le scalpel pour des greffes ou confinés dans des cages exiguës toute leur vie.
La riposte s'organise
L’opposition autour du projet, grandissante, a fini par se coordonner. Un large ensemble d’associations européennes de protection animale se sont opposées à la création de ce centre d’élevage de primates lors d’une manifestation organisée par le Collectif Pour le Respect de l’Animal, One voice (Æqualis), la LFCV et, Défense Animale à Strasbourg, le samedi 5 avril 1997. En pure perte. Le lundi 7 avril, le conseil général votait à l’unanimité moins quatre voix le budget de financement de la construction du Centre.
Les nombreux courriers adressés en protestation au Préfet ne recevaient qu’une examen rapide. Ceux qui avaient écrit en joignant une enveloppe timbrée pour la réponse ont eu une mauvaise surprise. La préfecture s’était contentée de glisser leur lettre dans l’enveloppe : retour à l’envoyeur sans aucun commentaire !
Chances infimes
C’est dans ce climat pesant que s’est ouverte la procédure d’enquête publique, à la fin de 1998 A cette occasion, notre responsable local (et national) a publié un épais rapport appuyé par de nombreux experts, pour faire le point de toutes les critiques liées à l’implantation de la primaterie. A l’époque les chances de gagner paraissaient infimes.
Mais, preuve qu’il ne faut pas désespérer, finalement, un beau samedi de juillet 1999, en pleines vacances et dans la plus grande discrétion, le gouvernement Jospin, de guerre lasse, abandonnait le projet. Plus de centre en Alsace, ni ailleurs. Claude Allègre, ministre en charge de la Recherche finissait même par déclarer au journal l’Alsace : « Nous n’avions nulle envie d’avoir des manifestations écologiques, peut-être violentes, dans les laboratoires .» Or, si One Voice a utilisé tous les moyens légaux pour contrer ce projet, à aucun moment elle n’a fait preuve de violence.
HISTORIQUE D’UNE CAMPAGNE
Emporter une telle victoire ne s’est pas fait sans efforts. Mener une campagne, quelle qu’elle soit, ce n’est pas seulement écrire un article dans le journal ou lancer une pétition, cela demande un travail constant, minutieux et de longue haleine. Chaque campagne que mène One Voice (Talis) est rendue possible grâce à vos dons. Pour la première fois, l’équipe a donc décidé de retracer pour vous qui avez soutenu notre travail les grandes lignes de cette campagne – il est du même type dans des dossiers tels celui des pottoks ou de l’élevage de chiens de l’Allier. Voici le résumé des principales actions (officielles, celles dont nous pouvons parler) de One Voice (Talis) et, avant mars 1998, d’Æqualis et de la LAF-DAM.
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12 mars 97 Première manifestation devant la mairie d’Holtzheim. Diffusion d’un tract.
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16 mars 97 Manifestation devant l’église d’Holtzheim.
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22 mars 97 Manifestation à Holtzheim. Diffusion de tracts en bandes dessinées dans les boîtes aux lettres des habitants.
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5 avril 97 Conférence de presse et manifestation avec la participation de nombreuses associations. Bonne couverture médiatique, comme pour les événements précédents.
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7 avril 97 Manifestation devant le Conseil général, une délégation assiste à la séance du Conseil général.
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Fin avril Interviews pour plusieurs médias régionaux.
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6 mai 97 Conférence «CNEP : Nécessité ou Absurdité » à l’université de Strasbourg.
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24 mai 97 Participation à la marche populaire à Holtzheim avec tee-shirt spécial, le groupe One Voice (Talis) reçoit le trophée du plus grand nombre de participants.
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Juillet 97 Premier contact avec le ministère de l’Environnement.
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Oct. 97 Festival antispéciste contre le CNEP.
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Nov. 97 Entretien avec Patrick Costa et article de 2 pages dans L’Est Républicain. Contact avec de nombreux décideurs politiques locaux, étude des paramètres environnementaux (plan d’occupation des sols et lignes à haute tension : rapport EDF, etc.). Diffusion de 100 000 tracts spécifiques Talis dans Strasbourg et les alentours d’Holtzheim. Parrainage et soutien de HALTE (association des habitants de Holtzheim contre l’élevage) et diffusion de tracts dans plus de 20 000 boîtes aux lettres par des équipes de nuit. Puis porte-à-porte pour rencontrer les 3 000 habitants de Holtzheim. En juin 1999, HALTE comptait plus de 500 adhérents.
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24 avril 98 Conférence « Le singe, modèle biomédical de l’Homme : une fiction chère et dangereuse » présentée par le docteur Claude Reiss du CNRS (Pro Anima).
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Mai 98 Participation à une manifestation à vélo Strasbourg- Holtzheim.
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En 1998 Dossier envoyé à de nombreux médias nationaux et étrangers. One Voice (Talis) obtient des soutiens : Alsace Nature, la Fondation FranzWeber, Sir Jack Stewart-Clark (Parlement européen), André Santini député, qui écrit à Claude Allègre, ministre de la Recherche, contre le projet, Jean Cornuz, Doyen du Grand Conseil en Suisse, Lætitia Scherrer, l’écrivain François Cavanna et le présentateur télévisé Pascal Brunner.
Rencontre des maires d’Holtzheim, Entzheim, Niederhausbergen et Lingolsheim (communes avoisinantes), de Jean- Laurent Vonau, conseiller général, qui soutient également notre action.
Conception d’un second dossier très complet avec argumentaire et le soutien de la Fondation Franz Weber, HALTE, Holtzheim Village (association opposée au maire d’Holtzheim qui soutenait le projet), l’APELE (défense de l’environnement), Pro Anima et Alsace Nature. -
Janvier 99 Manœuvre tactique importante : à la demande de One Voice (Talis), Jean-Laurent Vonau, conseiller général, intervient au sujet des crédits votés par les Conseils général et régional en 1997 pour financer le projet et non utilisés, donc devenus caduques dès 1999. Contact avec la Fédération européenne de primatologie qui critique le projet.
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Mars 99 Envoi d’un dossier de contestation au président du Conseil général, demande d’une étude d’impact et de la création d’une commission.Diffusion très large de ce dossier de contestation aux médias et aux décideurs politiques. Début d’une intervention de la chambre de commerce et d’industrie à l’enquête publique. Contact avec la Chambre du consommateur d’Alsace.
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Avril 99 Diffusion de la pétition dans le réseau des magasins Nature & Découvertes.Rendez-vous très fructueux avec Marc Hellary, conseiller technique de Dominique Voynet. Fin mai, le dossier de contestation de One Voice (Talis) arrive au ministère de l’Environnement.
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Mai 99 Nouvelle diffusion de la pétition au sein des associations de défense de l’environnement. Nouveaux contacts avec le délégué à la Recherche,la Mairie d’Holtzheim, la Communauté Urbaine de Strasbourg, les conseils général et régional.
Création de FACE Holtzheim – Fédération d’associations contre l’élevage, invitation de toutes les associations à nous rejoindre
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Juin 99 Conférence à Holtzheim avec Holtzheim Village et HALTE. Lancement de FACE Holtzheim et annonce de nombreuses actions pour l’automne. Affichage et nouvelle diffusion de tracts dans les communes voisines.
- 10 juillet 99 L’État annonce l’annulation du projet.*
L’abandon de ce projet ne doit pas nous faire oublier les millions d’animaux victimes de l’expérimentation animale. Néanmoins, ce résultat très positif nous laisse entrevoir un avenir prometteur. S’ils avaient disposé de primates en abondance et sur place, les chercheurs français les auraient utilisés en plus grand nombre. Cette décision ministérielle accepte implicitement la limitation de l’utilisation des singes dans les laboratoires.
Le travail dans l’union et sur plus de deux années contre ce projet est une première. C’est l’union et la patience qui porteront leurs fruits pour les animaux. La Coalition européenne pour mettre fin à l’expérimentation animale en est le meilleur exemple. Ce nouveau bloc est d’autant plus fort qu’il se construit sur la base de solides arguments moraux, scientifiques, éthologiques et législatifs. Holtzheim en est une des illustrations après l’abandon du projet Bion (impliquant de grandes souffrances pour des singes envoyés dans l’espace) et de l’implantation d’un élevage de beagles à Blye en 1997 et au Donjon en 1998.
De nouvelles campagnes en route
Cette victoire conforte donc One voice (Talis) dans ses stratégies et ouvre de nouveaux horizons.
En effet, le recul de l’expérimentation animale est illustré par les propos de Claude Allègre, ministre de la Recherche, le 13 juillet dans la presse, en réponse au communiqué de presse de One voice (talis) dont l’Agence France Presse a fait un résumé. Claude Allègre parle de « réglementer plus précisément l’expérimentation animale ».
Il aborde également le problème moral des expériences sur les grands singes en parlant des chimpanzés. Ce pas sous entend que l’expérimentation est moralement condamnable pour des êtres proches de nous. Pourtant, les chimpanzés et les orangs-outans sont encore objets d’expériences dans certains laboratoires français.
L’équipe qui a mené campagne contre le projet d’Holtzheim va donc à présent se consacrer à d’autres campagnes cruciales dans le même domaine : l’interdiction d’expérimenter sur les grands singes, comme en Grande – Bretagne, et la possibilité d’une objection de conscience pour les étudiants refusant l’expérimentation animale, comme en Italie, sans oublier l’interdiction de l’utilisation des chiens et la promotion des méthodes biosubstitutives.
Par mesure d’efficacité, il convient de cibler précisément les campagnes afin d’obtenir des résultats concrets et d’aller de l’avant. Mais One Voice (Talis) n’oublie pas tous les autres animaux victimes de la vivisection.
Cette campagne contre le projet d’élevage de primates nous a également montré à quel point nous avons raison. Les chercheurs adeptes de la vivisection n’ont pas attaqué les arguments de One Voice (Talis), ils ont simplement tout fait pour qu’on les taise. Dans l’histoire des idées, ceux qui avaient tort ont toujours été contredits, ceux qui avaient raison mais dont les propos dérangeaient ont toujours été bâillonnés, c’est souvent notre cas.
C’est pourquoi, dès que Talis en aura les moyens, nous financerons à nouveau des pages de publicité qui touchent plusieurs millions de personnes en les informant sur ce qu’est la vivisection en réalité.
Un récent sondage a révélé qu’en France, trois personnes sur quatre ignorent ce qu’est l’expérimentation animale. Il précise qu’une fois informées, plus de quatre personnes sur cinq sont totalement opposées à la vivisection. Ces chiffres nous confortent donc dans notre mission: dévoiler la vérité et la dire haut et fort au plus grand nombre.