Avec le cœur et la raison, disons non!
Nous vous l’annoncions brièvement dans notre dernier journal, le scandale français de cette fin de siècle en matière de protection animale risque d’être alsacien. Il est en effet prévu d’ouvrir à Holtzheim – à 5 km de Strasbourg – un centre national d’élevage de primates (CNEP) pour la reproduction dans lecadre de l’expérimentation animale.
Avec 3 250 singes, et en produisant 600 à 700 jeunes par an, notamment des macaques, il serait le troisième plus grand centre de ce type au monde. Voilàles faits bruts que nous allons développer et critiquer ici, en vous expliquant successivement ce monstrueux projet, nos objections, nos craintes et nosactions pour le contrer.
Pourquoi Holtzheim ?
À dire vrai, le scandale alsacien n’est pas nouveau : il existe en effet déjà une primaterie à Niederhausbergen. Là, le professeur Nicolas Herrenschmidt, zoologue, a implanté dans le Fort Foch un centre d’environ 500 primates. Démarré en 1977, ce “lieu d’étude du comportement simien” et centre d’élevage dépendant de l’université Louis-Pasteur a été salué comme une réussite par les expérimentateurs. Précisons qu’il ne disparaîtrait pas à la mise en service du prochain ; les deux coexisteraient en région strasbourgeoise, soit plus de 4 000 primates en période de reproduction !
Cette fois-ci, dans une bourgade de 2 700 habitants, un autre vieux fort alsacien est racheté à l’armée – le Fort Joffre, pour 9 millions de francs sur un budget initial de 33 millions ! – et on prévoit de nouveaux bâtiments pour ce projet.
Le discours des concepteurs et des autorités françaises est le suivant : “Nous avons un grand besoin de singes pour la recherche – SIDA, hépatites, paludisme, cancers, neurobiologie, épilepsies, greffes, maladies de Parkinson, d’Alzheimer et de Creutzfeldt-Jakob. Or nous recevons de nombreuses critiques quand nous nous fournissons dans la nature, faisant venir les singes de pays en voie de développement. Une résolution de l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) préconise d’ailleurs depuis 1975 la mise en place d’élevages pour les besoins en primates [Note : en 1975, la biologie moléculaire n’en était qu’à ses débuts, à présent, les techniques de pointe dites substitutives connaissent un réel essor… sauf en France]. Les associations de protection animale s’élèvent aussi contre leurs conditions de transport aérien. Alors la bonne solution consiste à les produire chez nous pour satisfaire tout le monde.”
C’est là une argumentation habile. Certes, le centre d’Holtzheim limiterait les captures d’animaux sauvages, mais pas complètement, car il faut bien renouveler les reproducteurs et éviter la consanguinité.
Mais nous qui avons libéré des macaques nés en captivité connaissons leur sensibilité, leurs besoins et leur détresse, lesquels n’ont rien à voir avec leur lieu de naissance.
Et Holtzheim ne risque pas d’empêcher les pays du tiers-monde en mal de devises de vendre à l’encan la faune qui leur reste, ou Air France et Sabena de transporter des malheureux – Tout cela tente juste de faire croire que les problèmes sont résolus au mieux alors qu’il n’en est rien. En fait, plus il y aura de singes disponibles, plus les vivisecteurs en utiliseront.
Mais il y aura toujours, hélas, des gens mal informés pour se laisser prendre par cette poudre aux yeux.
S’opposer va être difficile car le professeur Herrenschmidt, habile communicateur, s’est toujours arrangé pour mettre en avant quelques belles “volières” dans un écrin de verdure : les singes prisonniers y ont l’air un peu moins malheureux qu’ailleurs et ils peuvent parfois se distraire avec des objets placés dans les cages. Mais ces “cages modèles” ne servent que d’alibi, de vitrine, sur la totalité des autres, ce qui permet de rappeler le danger des associations de protection animale se préoccupant uniquement de “bien-être avant la vivisection”. Pour la défense des droits des animaux, One Voice (Æqualis) et les abolitionnistes réclament des cages vides et des méthodes scientifiques fiables (voir point N°3).
De toute façon, la configuration et la surface du fort Joffre ne permettront pas aux primates qui y seront enfermés d’avoir comme cellules autre chose que de minuscules cages.
Le maire d’Holtzheim est en faveur de ce projet, le conseil régional et le conseil général, les ministères de la recherche et des finances aussi. Se sont pour l’instant déclarés opposés Antoine Waechter (Mouvement des Écologistes Indépendants), Brice Lalonde (Génération Écologie) et Jean-Laurent Vonau(conseiller général RPR).
Une rude lutte s’annonce, mais nous nous devons d’y mettre toute notre énergie. Laisser faire serait reconnaître notre impuissance ou notre désintérêt. À One Voice (Æqualis), en tous cas, nous ne sommes pas prêts de jeter l’éponge !
Pourquoi dire non à Holtzheim ?
Nos critiques s’articulent sur cinq points:
1. Un projet illogique
Au moment où la Commission européenne envisage de réduire de moitié le nombre d’animaux expérimentés chez les Quinze, ce projet semble anachronique voire politiquement choquant, surtout à côté d’une ville symbole de l’Europe. La possible réduction de 50% est l’une des bonnes nouvelles. Sachez toutefois que nous étions à Bruxelles les 15 et 16 avril pour un colloque consacré à ce thème avec les autres membres de la Coalition européenne pour mettre fin à l’expérimentation animale et en présence de responsables européens de haut niveau.
2. Les raisons scientifiques: la réfutation du “modèle simien” par le comité scientifique Pro Anima
“Le singe ne contracte pas le SIDA, ni l’hépatite B dans sa forme aiguë ou chronique, s’il est infecté par les virus qui donnent ces conditions chez l’homme.On ne connaît pas de singe spontanément parkinsonien. On sait le rendre tremblant, en détruisant chimiquement des cellules de son cerveau, mais ce“modèle” ne nous apprend rien sur la cause de la maladie chez l’homme ni sur le traitement, car les cellules détruites le sont irrémédiablement.
Quant à étudier chez un végétarien la transmission de l’encéphalopathie spongiforme par consommation de viande…
En réalité, aucune espèce animale n’est le modèle d’une autre, du fait que chacune a minutieusement adapté ses fonctions biologiques aux ressources et contraintes de sa niche écologique. Ainsi, connaissant le résultat d’une étude sur le singe, aucune loi ne permet de prédire quel sera le résultat chez l’homme. Pour le savoir, il faudra faire l’étude chez l’homme, rendant donc inutile l’étude préalable chez le singe. Il ne s’agit évidemment pas d’expérimenter sur l’homme, mais d’utiliser les outils d’une puissance fantastique développée ces deux ou trois dernières décennies pour explorer le fonctionnement et les pathologies de nos cellules, toutes en culture (biologie moléculaire et cellulaire), de nos organes (méthodes non invasives telles l’imagerie RMN – résonance magnétique nucléaire –, la caméra à positrons pour suivre l’activité cérébrale…) et de l’individu (analyse médicale, études cliniques). Ces moyens permettent l’approche directe et rationnelle de notre physiologie et de nos pathologies, face à laquelle le modèle singe apparaît simplement ridicule. Ce dernier peut même induire gravement en erreur : en 1982, on a sous-estimé le danger du SIDA pour l’homme, du fait que le singe ne le contracte pas quand il est infecté par le virus HIV.
Conséquence : le scandale du sang contaminé, entre autres.”
3. Un gouffre financier
Il est possible de faire aussi une critique budgétaire du projet d’Holtzheim. On laisse miroiter aux Alsaciens « un gisement d’emplois » : quelques emplois… sous des lignes à haute tension, en bout de piste de l’aéroport de Strasbourg, dans un fort humide et glacial (nous l’avons visité), au contact d’animaux dangereux et sans doute porteurs de maladie. En fait, il s’agit surtout d’une mauvaise utilisation des crédits alloués à la recherche – et donc de nos impôts. Écoutons le professeur Béquain, du comité Pro Anima : « Ce centre va engloutir des sommes pharaoniques, en comparaison desquelles les 33 millions qu’il en coûtera pour acheter et retaper le fort font figure d’argent de poche. Aux USA, la journée d’hôtel de singe « environné » (locaux, cage, entretien, frais de personnel vétérinaire, animaliers…) est facturée 200 $. En l’absence d’informations plus directes, accordons au centre le bénéfice du « prix le gros », le 1/10ème du prix américain soit 100 F/jour : avec cette hypothèse très basse, le simple fonctionnement du centre coûterait 100 millions/an, récurrents d’année en année.
S’y ajoutent les frais d’expériences sur les singes, du même ordre de grandeur. Cette « monnaie de singe » serait prise sur l’enveloppe recherche et manquerait donc aux autres secteurs de la recherche, déjà asphyxies par les restrictions budgétaires. Alors qu’à Holtzheim on va faire dans le gigantisme bien que nous n’en ayons ni l’usage ni les moyens, aux USA, on ferme des centres de primates qui ne savent plus que faire de leurs pensionnaires.
Ce centre est à contre-courant de la loi, qui fait obligation d’éviter d’expérimenter sur l’animal chaque fois que c’est possible, et c’est possible (cf ci-dessus). Tout au contraire, il aura l’effet pervers de stimuler la demande de la part de certains chercheurs, que la pénurie d’animaux aurait contraints à réfléchir à des approches rationnelles rompant avec leurs pratiques routinières.
L’Alsace d’Albert Schweitzer et d’Alfred Kastler, l’Alsace de l’humanisme et de la rigueur intellectuelle capitulerait- elle devant le Fort Joffre de Holtzheim occupé par 3250 singes, ligne Maginot de la recherche biomédicale française ? Il est presque minuit… »
4. Les dangers: pourquoi craindre Holtzheim ?
Le professeur Béquain explique : « En plus d’être inutile, ce centre peut être dangereux. Un exemple, parmi d’autres tout aussi inquiétants : les greffes de tissus entre le singe et l’homme ou d’autres espèces, qui seront pratiquées sur des individus du centre, peuvent donner naissance à des variétés virales nouvelles, issues de la combinaison entre les nombreux virus « dormants » endogènes chez les deux espèces. La virulence et les cibles de ces nouveaux virus sont imprédictibles. Certains n’excluent pas que le virus du SIDA, dont la séquence est très proche de celle d’un virus du singe, aurait pu résulter d’un contact (dans la nature espérons-le) entre tissus des deux espèces. Ces virus sont plus insidieux que les radiations ionisantes par exemple, car il n’existe pas de moyen simple pour détecter leur présence – sauf quand ils attaquent ! »
Il est prévu de faire sur ces primates des xénogreffes (greffes d’organes d’un animal sur un autre d’une espèce différente), et de dangereuses manipulations génétiques permettant d’obtenir, entre autres, des singes transgéniques humanisés. Alors rappelons une histoire très réelle bien qu’elle semble sortie d’un film catastrophe. Elle est arrivée au célèbre professeur Gallo, co-découvreur du rétrovirus du SIDA. En 1992, il décide de supprimer les défenses immunitaires d’une souris pour lui faire accepter un greffon de moelle épinière humaine, et l’expérience réussit tout d’abord : le greffon humain prend, donnant une « souris-chimère » partiellement humanisée. Robert Gallo lui injecte ensuite le fameux VIH causant le SIDA ; il n’est pas censé agir sur toute la souris mais sur la greffe. Deux ou trois jours plus tard, la souris est morte. Un examen histologique révèle que tous ses organes ont succombé à une virulente attaque virale. L’explication est terrifiante, et le professeur Gallo est le premier à l’admettre : le virus humain du VIH s’est mêlé à un virus murin (c’est à- dire de souris) appelé le MULV. Il y a eu naissance d’une nouvelle entité appelée virus pseudotypique ou encore virus recombinant par le mélange des deux patrimoines génétiques des virus d’origine.
Et ce nouveau virus s’est retrouvé expulsé dans l’air par la respiration de la souris ! Heureusement dans un local spécialement confiné, mais ça aurait pu se passer autrement… Alsaciens, avez-vous vraiment une confiance absolue dans les apprentis sorciers qui vont « chercher » à vos portes ? Croyez-vous vraiment que toutes les précautions sont toujours prises ? Qu’il n’y aura jamais de virus
Ébola modifié prêt à fuguer dans la banlieue de Strasbourg ? De Creutzfeldt-Jakob baladeur à la sauce Holtzheim ?
5. Un projet amoral
Nos plus proches cousins sont encore plus intelligents et sensibles que la quasi totalité des autres animaux. Il y a là un grave problème d’ordre moral qu’il ne faut pas minimiser au moment où de plus en plus de gens se préoccupent d’éthique. Si, pour reprendre la phrase de George Orwell, « tous les animaux sont égaux, mais certains sont plus égaux que d’autres », c’est évidemment le cas des primates. Bien sûr, nous nous opposons à toute expérimentation animale sur la plus petite des créatures, mais nous ne pouvons ignorer que, si toutes sont capables de souffrance et doivent donc voir respecter leurs droits d’êtres vivants et sensibles, nos proches cousins sont encore bien plus dans ce cas.
Les vivisecteurs eux-mêmes reconnaissent que les grands singes ont la capacité mentale d’un enfant de trois ans. Il est révoltant et terrifiant d’imaginer que malgré cela, ils les laissent des semaines attachés dans des appareils de contention, le crâne bourré d’électrodes, le corps meurtri par le scalpel pour des greffes ou confinés dans des cages exiguës toute leur vie.
Alors dépêchons-nous de devenir des êtres humains dignes de ce nom. Ceux-là n’enfermeront jamais leurs proches cousins – les lointains cousins non plus ! –dans des camps dans l’attente de l’expérimentation. Hâtons-nous d’élever notre niveau de conscience et d’élargir notre cercle de compassion et de considération morale. Non seulement nous le devons aux animaux, mais nous le devons aussi à nous-mêmes ! La première révolution à opérer dans nos cœurs est une révolution morale. Pour beaucoup, le triste symbole d’Holtzheim doit devenir le signal de départ de cette nécessaire révolution.
Comment dire non à Holtzheim ?
Un large ensemble d’associations européennes de protection animale se sont opposées à la création de ce centre d’élevage de primates lors d’une manifestation organisée par le Collectif Pour le Respect de l’Animal, One voice (Æqualis), la LFCV et, Défense Animale à Strasbourg, le samedi 5 avril 1997.
Il y eut d’abord une conférence de presse où se sont exprimés Stéphane Charpentier, aux noms de la LFCV, d’Æqualis et de la Coalition européenne, sur lespoints d’éthique, puis le docteur Claude Reiss (directeur de recherche en biologie moléculaire, membre de Pro Anima) sur les incohérences techniques du dossier et de l’expérimentation des primates, ainsi que sur ses dangers.
Enfin, place Kléber, un rassemblement des représentants de nombreuses associations françaises, tant nationales que régionales, ainsi que d’autres paysd’Europe sont aussi venus réclamer l’arrêt du projet du CNEP. Cette manifestation a été rapportée par les Dernières Nouvelles d’Alsace, L’Alsace et pendant plusieurs minutes en début du journal régional de France 3, ce qui a permis d’alerter la population locale.
Le lundi 7 avril, le conseil général votait à l’unanimité moins quatre voix le budget de financement de la construction du Centre. Ce jour-là, France 3 Alsaceannonçait que la SPA soutenait le projet de la primaterie. Nous étions consternés.
Le 18 avril, le docteur Reiss a participé à une émission-débat de France 3 Alsace : à ses côtés, Jean-Laurent Vonau, conseiller général RPR opposé au projetet face à eux, Nicolas Herrenschmidt, futur directeur du centre d’Holtzheim et un chirurgien de la région qui s’amuse à transplanter des reins de porcs sur des grands singes (chimpanzés, orang outans). Nous n’avons pas retenu son nom, juste son regard de sadique bon enfant. Claude Reiss a pu expliquer aux téléspectateurs les dangers et l’inutilité de l’expérimentation animale et monsieur Vonau affirmer des positions éthiques que nous aimerions entendre plus souvent dans la bouche d’hommes politiques. Le débat était illustré par nos photos de singes torturés.
L’Alsace risque de perdre une partie de son image favorable avec ce projet inique. Accueillir les cigognes, oui. Emprisonner les singes, non. Nous nous battrons avec vigueur pour que ce dangereux projet ne voie pas le jour. Arrêtons de faire une recherche du XIXe siècle sur des monceaux de cadavres. Aidez-nous à y parvenir. Merci de votre large mobilisation, par delà les limites associatives habituelles – vous le savez, l’union fait la force, et nous le prouverons encore, grâce à vous.